[AUDIO_VIDE] Bonjour, bienvenue au Mooc Restructuration des quartiers précaires des villes africaines. La leçon d'aujourd'hui est consacrée à la crise urbaine. La décennie 70, 80, est celle qui a vu les quartiers précaires proliférer et se diffuser dans l'ensemble des grandes villes d'Afrique. La plupart des pays subissaient en effet de grandes difficultés, engendrées par la crise économique de ces années-là, le choc pétrolier de 1973, et les politiques néo-libérales des États-Unis d'Amérique et de la Grande-Bretagne, sous la conduite de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher ont abouti au ralentissement des échanges internationaux et ont mis à mal les économies fragiles de nombreux pays. Ceux-ci ont alors vu leurs ressources diminuer, et leur endettement s'envoler, à l'image de la Côte d'Ivoire et du Nigéria, stoppés net dans leur élan économique et social prometteur. Tout cela s'est produit aussi au moment même où la plupart de ces états étaient engagés dans des programmes lourd d'équipement, c'est-à-dire de constructions de réseaux de voiries, d'adduction d'eau potable, d'électricité, ou encore de construction de logements. Que signifie au fond cette crise? Comment s'est-elle manifestée? Et quelles ont été ses conséquences sur l'organisation et la gestion des villes africaines? C'est ce que nous verrons à travers ce plan en trois points. La crise a été vécue sous différents angles. Le premier élément a été la rupture d'un cycle d'accumulation de la rente d'exploitation des produits agricoles et miniers. On a assisté alors à l'effondrement des cours des matières premières, qui constituaient les ressources principales des pays africains, à savoir, le fer, le cuivre, le café, le cacao, pour ne citer que ceux-là. La baisse des exportations a eu comme conséquence la raréfaction des ressources, du fait justement de la réduction des ressources. Il s'ensuit naturellement une réduction des capacités nouvelles de financement, et la fragilisation des circuits de financement existants. La combinaison de ces différents éléments de crise a eu pour conséquence le ralentissement des projets urbains. La réduction des moyens fait que les états privilégient désormais les investissements directement productifs en promettant dans le même temps de mettre l'action sur la gestion efficiente des services urbains. La crise de la dette publique de la plupart des pays est une conséquence directe de la raréfaction des ressources. De nombreux pays ne peuvent plus honorer leurs engagements vis à vis des bailleurs de fonds, leurs dettes publiques se sont alors envolées, au point de poser la question de leur capacité à intervenir directement, et de manière durable, dans des secteurs clés comme les équipements, les infrastructures, le foncier, les secteurs déterminants pour le développement urbain. Une autre manifestation, conséquence de la crise urbaine, a été l'imposition par les institutions de Bretton Woods de plans d'ajustements structurels, plus communément appelés P.A.S. Il s'agissait de plans draconiens qui visaient la limitation des interventions directes des états, pour favoriser les investissements privés, particulièrement dans le secteur urbain. Les institutions de Bretton Woods conditionnaient les nouveaux prêts à la mise en place de plans d'ajustements structurels dans le but de dégager des ressources nouvelles, et de mieux assurer le remboursement de la dette. La crise urbaine a également eu comme conséquence la fragilisation de l'équilibre, ville campagne. Les migrations en direction des villes se sont intensifiées car ce sont elles qui créent les richesses. Et elles se comportent en période de crise comme des soupapes de sécurité. L'accumulation des difficultés aboutit ainsi à l'intensification de l'exclusion des pauvres dans les villes africaines. La persistance des difficultés a abouti au façonnement de villes duales. Par villes duales, nous entendons la juxtaposition de plusieurs espaces qui correspondent à différents niveaux d'intégration et de pratiques de la ville. Cela se traduit souvent par la coexistence d'une ville légale, celle qui correspond aux normes établies et qui regroupe les centres administratifs les quartiers résidentiels et les quartiers populaires centraux. À côté de cette ville légale, on trouve souvent une ville illégale, qui est le résultat des développements périphériques irréguliers, illégaux, sous-équipés, celle où les habitants parleront d'aller en ville, lorsqu'ils doivent quitter leur quartier. Les espaces urbains produits et façonnés au travers de cette crise urbaine se révéleront souvent fragmentés et ultra-compartimentés en créant plusieurs oppositions. La première distinction est celle qui oppose, centre et périphérie. Il s'agit-là d'une opposition classique dans les esprits car l'un se détermine par l'existence de l'autre. Cette distinction est inhérente à la ville elle-même, la ville est centralité ; elle constitue en effet un lieu de polarisation, polarisation des activités, polarisation du pouvoir, qui sont eux-mêmes symbolisés par les édifices. C'est cette dualité, centre périphérie, qui a de tous temps structuré les espaces des villes. Une seconde opposition distingue des quartiers ethniques. On fait allusion ici aux phénomènes de ségrégation sociale ou professionnelle qui peuvent être d'origine autochtone ou découler d'un long processus de formation d'espaces socio-ethniques, liés aux formes et filières de migrations en ville. On est toujours accueilli en ville par quelqu'un de sa famille, de son clan ou de son ethnie. Pensez à l'exemple des soninkés de Montreuil à l'est de Paris. C'est un regroupement ethnique dans le temps qui ne peut se comprendre que par la force des liens familiaux et ethniques des maliens originaires des mêmes villages. Enfin, une troisième opposition distingue les quartiers riches des quartiers pauvres. De plus en plus de villes voient en effet leurs espaces se constituer sur la base d'une ségrégation sociale calquée sur les revenus. On parle désormais de riches, de pauvres, de quartiers de riches, de quartiers de pauvres. Ces quartiers se distinguent souvent d'abord par leur localisation géographique, généralement la proximité du centre est un facteur déterminant, mais aussi par les niveaux d'équipement ; par exemple, le raccordement au réseau, le niveau des services, tels que le ramassage des ordures, le niveau de sécurité, l'éclairage public. Voilà succinctement résumé ce que recouvre cette notion de crise urbaine. Elle a été particulièrement ressentie dans les villes africaines, parce qu'on sortait d'une longue période d'accumulations donc d'abondances, pour être obligés de revoir l'ensemble des politiques publiques qui devaient s'accommoder de la raréfaction des ressources à l'échelle planétaire, et qui signifiait pour de nombreux pays une réduction des capacités d'intervention au moment même où ils en avaient le plus besoin. [AUDIO_VIDE]