[MUSIQUE] >> Docteur Diagana, nous vous avons suivi cette semaine. J'ai quelques questions, pour faire une petite synthèse de la semaine, à vous poser. Des choses que vous avez dites et que j'aimerais vous entendre à nouveau répéter et notamment pourquoi y a-t-il des bidonvilles? >> Alors, je vous remercie pour votre question. C’est une question importante, une question essentielle, même si elle paraît a priori évidente. Mais, j'ai l'espoir que ceux qui nous écoutent, ne sont peut-être pas des professionnels de la ville, mais qui ont un intérêt pour la ville, ont déjà la réponse ou leur propre réponse à cette question. Alors, je vais balayer la réponse en 3 points essentiellement, qui paraissent être les plus fondamentaux. J'ai dit dans l'introduction que les villes, dans l'histoire de l'humanité, comme aujourd'hui, sont les lieux sur lesquels s'appuie le développement. L'Afrique n'échappera pas à cette règle. Mais en même temps, ces villes étant les lieux d'espoir, c'est normal qu'elles attirent beaucoup de population. Alors, c'est là que les populations viennent pour se réfugier, mais c'est là aussi que les gens, qui ont été bien formés, vont venir pour essayer de profiter de la ville, de la concentration urbaine, pour pouvoir réussir et pour pouvoir s’intégrer. Le deuxième aspect, c'est la situation que connaît la plupart des pays d'Afrique à l’heure actuelle. Ce n’est pas seulement les pays d'Afrique, c'est un phénomène que tous les géographes connaissent, c’est cette transition démographique. Les pays d'Afrique vivent cette situation-là, parce que sur beaucoup de plans, il y a eu des améliorations, sur le plan de l'encadrement sanitaire, sur le plan de l'éducation, les enfants vivent plus longtemps, ils sont mieux éduqués, ils ne meurent pas tout jeunes, mais en même temps, l'économie se développe très lentement. Donc, on a un écart entre ce que peuvent offrir les villes et ce que peuvent prétendre les populations. Et cette transition démographique est la période, pendant laquelle les courbes de mortalité et les courbes de natalité sont les plus fortes, donc la période au cours de laquelle la croissance de la population est la plus importante. Cette croissance est forcément supportée par les villes. En troisième lieu, c'est la faiblesse des gouvernances. Les quartiers précaires, quand on en parle, d'abord, on voit une question de logement. Alors, la question du logement dans les villes est de la responsabilité, normalement, je dis bien normalement, des pouvoirs publics. Et parce que ces pouvoirs sont défaillants, les populations se débrouillent comme elles peuvent. Alors elles s’installent sur les terrains qui ne leur appartiennent pas, les mettent en valeur, des fois elles sont chassées, elles reviennent, elles vont s'installer ailleurs etc. etc. C'est un processus classique. Donc, les bidonvilles vont s'appuyer sur ces trois piliers, les villes attirent, les gouvernances sont faibles, mais en même temps, il y a une situation économique et sociale, qui fait que les villes constituent un appel d’air, des villes secours, des lieux de concentration, etc. C’est cela que je suffis l'existence des quartiers précaires. Nous reviendrons peut-être tout à l’heure, sur l'évolution de leurs sens, hein, la connotation qu’elles représentent aujourd'hui parce que, assez souvent, on associe ville et pauvreté. Mais, dans les caractéristiques qu’on essaie de définir, aujourd'hui les quartiers précaires accueillent des populations qui ne sont pas des populations pauvres, parce qu’elles travaillent, parce qu’elles ont des revenus. Mais seulement, elles n'arrivent plus à faire face à toutes les exigences de la vie en ville. >> Vous nous avez parlé de quartiers centres versus périphériques, de quartiers riches versus quartiers pauvres, >> est-ce que la ségrégation n’est pas la définition même de la ville? >> Vous avez raison. La ville est d’abord espace mais elle est aussi société. Donc, quand on regarde l'évolution historique des villes africaine, on se rend compte, bien avant la colonisation, que l’espace était partagé, que l'espace était ségrégé. Que ce soit une ségrégation d'origine professionnelle, ou alors une ségrégation d'origine ethnique, ou encore aujourd'hui une ségrégation d'origine qui peut être sociale. Donc à la base, la ville est une ségrégation. Alors, qu’est-ce qui pose aujourd'hui problème, c'est que les gens qui habitent dans ces quartiers pauvres, sont stigmatisés, on a l’impression qu’ils ne font pas partie de la ville. Mais les distinctions professionnelles, les distinctions sociales, se sont toujours affirmées dans l'espace. Alors, l'espace, c’est une dimension importante pour nous les géographes, surtout à partir du moment où on choisit comme entrée, souvent l'espace, pour réfléchir à d'autres composantes, qui peuvent être la société, l’économie, etc. Donc, ça ne pose pas de problème cette forme de ségrégation, c'est que chacun trouve en ville sa place, parce que de plus en plus, les rapports étant moins ‘iii’ et comme on disait tout à l’heure, les quartiers précaires, malgré leurs significations lourdes deviennent en même temps une chance pour certains. Parce que les états ont compris que c'est une forme de recyclage, en distribuant des terrains des pauvres qui eux-mêmes vont les revendre, qui vont former un capital et qui vont reconstruire un premier terrain qu’ils ont acquis, etc. etc. Donc la ségrégation n'est pas toujours quelque chose de mauvais, à partir du moment qu’on en prend conscience et on fait en sorte que les gens cohabitent dans des espaces, qui sont des espaces différents. La difficulté, c'est que lorsqu’on arrive à des villes qui excluent, hors nos villes excluent de plus en plus, alors que nos villes sont appelées à intégrer. Et c'est là, où nous devons réfléchir pour proposer des solutions ensemble, techniciens, universitaires, décideurs, mais en même temps les populations qui vivent ces situations, pour réfléchir aux formes de cohabitation et aux formes d'union dans des structures qui sont capables de porter les villes vers l’avenir. >> Mais, à vous entendre, on a les quartiers précaires mais si on regarde ce qui se passe au niveau international, il y a quelque chose qui est en nette augmentation, partout dans le monde, au Nord comme au Sud, ce sont gated communities. Donc, est-ce que finalement le problème de ces ségrégations ne serait pas plutôt les riches que les quartiers pauvres, puisque les riches se barricadent et augmentent cette ségrégation, et empêchent finalement cette ville inclusive dont vous nous parliez? >> Ce dont vous venez de parler n'est pas une spécificité des villes d'Afrique. Les villes, et du point de vue des politiques, comme du point de vue des bailleurs, doivent d'abord créer des richesses. Donc, c'est normal qu'on s'enrichisse en ville. Et d’ailleurs, c'est pour ça que beaucoup de gens viennent en ville. Si on veut s'enrichir, si on veut évoluer, il faut aller en ville. Donc, nous devons faire avec cette ségrégation, de plus en plus virulente, entre riches et pauvres. Mais, il y a des responsabilités à assumer. Les pauvres doivent pouvoir compter sur une administration, sur les formes de gouvernance, qui a tenu les effets de la pauvreté, c'est le sens de tout ce qui est fait depuis 2000, notamment depuis la rencontre de New York, où maintenant beaucoup d'institutions internationales font de la lutte contre la pauvreté, leur cheval de bataille. Mais en revenant sur le credo des années 80-90, où l’on pensait que du fait de cette ségrégation, du fait de cette opposition, que la liberté d'entreprendre, la liberté du marché, pouvait libérer les initiatives et permettre à chacun de s’intégrer ou de trouver sa place en ville. C'est faux. On s'en est rendu compte et aujourd'hui, on revient vers ces considérations fondamentales. Il y a ceux qui vont s'en sortir, et il y a ceux qui auront toujours besoin d'être accompagnés, comme on l’a vu de manière beaucoup plus technique dans les opérations de restructuration. Il faut accompagner les pauvres, l’État est là pour ça, sur le plan économique, sur le plan du français et sur le plan de l'éducation. >> Lorsque l'on parle de quartiers précaires, on parle le foncier, on parle de sécurisation ou de sécurité foncière, donc on parle forcément de propriété foncière individuelle, que je crois largement partagée dans le monde. Mais on se rend compte qu’au Nord notamment, mais également au Sud, on a des formes différentes de la propriété foncière, qui sont des propriétés foncières collectives. Et on sait également, si on prend l'histoire africaine que le maître de terre était là pour distribuer, finalement dans les communautés rurales, la terre qui était un bien collectif. Est-ce que ces formes de biens collectifs sont aujourd'hui à l'agenda, est-ce qu’on essaie de les mettre en place, ou est-ce qu'on est strictement sur des questions de foncier propriété individuelle et pourquoi? Avec le foncier vous touchez là le nœud du problème. Je ne dis pas ça parce que le foncier on le lie directement au logement, et le logement on le lie à la qualité de vie etc. Non. C'est parce que le foncier, d'abord, dans l'organisation, la planification d'une ville, c'est... Mais en Afrique, cela est réservé, pourquoi? Parce que, sur le plan symbolique, le foncier représente plus que ce qu'il représente chez vous par exemple, sur le plan économique, de plus en plus le foncier devient un refuge ; dans les économies où il y a peu de secteurs productifs dans lesquels on peut investir et puis s'enrichir etc. Le foncier le permet. Mais également parce que le foncier est une forme de médiation entre les individus, entre les communautés, entre les individus, les communautés, et les pouvoirs publics ; en ce sens, il devient le centre. C'est pour ça que, lorsqu'on rentre dans une ville aujourd'hui, la première des choses qu'on voit c'est, on dit son étalement, que ça soit horizontalement, que ça soit verticalement, l'occupation de l'espace ; donc le foncier est une des questions essentielles. Et en ce qui concerne les villes d'Afrique, nous sommes passés par plusieurs étapes, vous l'avez rappelé tout à l'heure, la force de l'appropriation coutumière. En fait, une transition de ce qui se passait dans le milieu rural, en ville, pour régler, aujourd'hui, les processus d'accession. Mais cela a buté sur la colonisation, qui a imposé ses règles, qui a voulu que ce soit l'État qui administre, et c'est ce qui fait qu'aujourd'hui cette volonté de l'ensemble des gouvernants à avoir prise sur le foncier, donc à une accession individuelle, pour casser ces réseaux coutumiers qui freinent le développement des villes. C'est cette proposition-là qui crée problème. Alors, la question de la sécurité mais aussi celle de l'insécurité, naturellement, elle se pose partout. Vous n'êtes jamais sûr de vos droits, parce que, là où un titre vous donne droit, ce droit peut être contesté. Alors que là où vous n'avez aucun titre, ce droit peut être reconnu. C'est ça qui fait l'ambiguïté, l'ambivalence de la situation, et la force des questions foncières dans ces villes aujourd'hui. Toutes les politiques aujourd'hui doivent prendre à bras le corps cette question foncière parce qu'elle est en amont de tout. Notamment de celle qui nous préoccupe aujourd'hui, des quartiers précaires. Souvenez-vous l'entrée immédiate des quartiers précaires c'est la question de l'habitation. Or l'habitation elle a un socle, c'est le foncier. Tant que vous n'accédez pas au foncier, et c'est ça qui fait qu'aujourd'hui, dans les villes d'Afrique, ceux qui viennent en ville n'ont qu'un souci, c'est d'avoir une maison. Mais vous ne pouvez pas avoir une maison si vous n'avez pas un terrain, alors, comment accéder au terrain? Toutes les astuces sont utilisées pour accéder au foncier. Donc, nous sommes dans une dynamique extrêmement importante de compréhension, mais aussi d'adaptation, de circuits d'accession à la propriété foncière. >> Une dernière question, on lie, en général, quartiers précaires et foncier, on lie, foncier et habitat, mais quel est véritablement ce lien, entre le foncier et l'habitat? J'ai l'impression que l'un ne va pas sans l'autre, d'un autre côté, il y a des programmes de restructuration qui s'occupent du foncier, d'autres qui s'occupent d'habitat, pourquoi ces programmes ne sont pas totalement intégrés? Et peut-on parler d'habitat sans foncier, et peut-on parler de foncier sans habitat? >> Alors, le lien entre foncier et habitat >> il est direct, parce que tout simplement en Afrique, on confond habitat et logement. Donc quand vous mettez en parallèle les processus d'accès au logement ou à l'habitat, j'utilise volontairement le terme d'habitat parce que dans la tête de beaucoup d'africains le logement c'est l'habitat ; or, vous savez comme moi que l'habitat recouvre une dimension beaucoup plus large. Donc vous voyez tout de suite le lien direct entre foncier et habitat. Et d'ailleurs, comment peut-il en être autrement? À partir du moment où les programmes d'habitat sont d'abord portés par la disponibilité d'assiettes foncières? Et si on revenait un peu sur les politiques publiques, on verra que cette dimension foncière a été un des gros handicaps, parce que l'accès même public au foncier est problématique dans certains contextes. Vous avez des pays comme le Togo, le Bénin, l'Afrique du Sud, où aujourd'hui l'État doit négocier avec des communautés pour la mise en place de projets importants. Mais de la même façon, l'ensemble des promoteurs qui viennent, et cela s'est fait notamment entre 1960 et 1980, où les opérateurs publics avaient en charge la construction de logements, beaucoup ont buté sur les questions foncières. Il faut d'abord une disponibilité en terrain pour pouvoir concevoir des projets et les réaliser. Or, ça n'a pas toujours été facile. Donc vous voyez que ce lien il est direct, et il explique aujourd'hui qu'on lie forcément, dans ces montages de projets, la question foncière en premier lieu est à régler. Beaucoup de promoteurs disent, moi je viendrai si j'ai l'assurance que le terrain il est là, rubis sur ongle, avec un titre foncier, comme quoi je peux développer un projet. C'est un lien extrêmement direct, extrêmement important. >> Merci. >> C'est moi. [AUDIO_VIDE]