Parlons donc sur les relations entre le Brésil et l’Afrique. Je vais développer trois points les plus importants. D’abord dans l‘histoire, le premier point pour venir jusqu’à l’histoire coloniale sur les liens entre les Brésiliens et les Africains. Un deuxième point sur la redémocratisation pendant la fin du XXème siècle au Brésil, c’est-à -dire après la Constitution de 1988, quid des relations entre le Brésil et l’Afrique. Et puis un troisième point, un peu plus domestique sur la société brésilienne, sur les liens entre les Africains et les Brésiliens Donc commençons par le premier point, donc le Brésil et l’Afrique dans l’histoire. Bien sûr que cette relation entre le Brésil et l’Afrique elle commence à travers le Portugal, le Portugal qui était la métropole du Brésil depuis 1 500 et qui aura aussi des colonies surtout les 5 principales colonies dans le continent africain : le Cap Vert, la Guinée Bissau, le Mozambique, l’Angola et São Tomé et Principe. Donc les liens dans l’histoire vont passer à travers le commerce intra colonies, les différents commerces maritimes qui vont traverser les deux rivages de l’Atlantique Sud. Il y aura des liens très importants, notamment entre les Angolais, les différents royaumes qui composaient l’Angola de ce moment-là et les Brésiliens. Il y avait même des liens pendant le XVIIIe siècle entre les Angolais et les Hollandais qui voulaient faire expulser les Portugais des deux côtés de l’Atlantique Sud. Ceci est important pour savoir que, au moment de l’indépendance brésilienne en 1822, il y a même eu un traité bilatéral de reconnaissance de cette indépendance entre le Brésil et le Portugal dans lequel il y a un article spécifique qui dit à peu près la chose suivante : le Brésil doit renoncer à toute forme de lien officiel avec l’Angola, à tel point étaient importants ces liens commerciaux, ces liens économiques, mais aussi ces liens politiques entre l’Angola et le Brésil. Donc le Brésil devrait renoncer à toute forme de lien avec l’Angola, qui aurait pu souhaiter en ce moment de l’indépendance brésilienne en 1822 de devenir indépendant avec le Brésil. Ce qui aurait été vraiment quelque chose d’inouï du point de vue géopolitique : un pays avec un territoire sur les deux côtés de l’Atlantique Sud, avec un pied bien grand en Amérique du Sud avec un pays continental, et un pied, quand même très important en terme territorial en Angola. Donc ça c’est un moment important, une longue histoire coloniale qui va laisser des liens en termes de commerce des esclaves, qui va laisser des liens très importants dans la formation de la société brésilienne, dans son histoire. L’Afrique est présente donc au Brésil depuis l’ère coloniale. Il y aura une ambivalence entre Brésiliens et Africains due à cette amitié qui va nouer le Brésil et le Portugal jusqu’aux années 1960 environ, c’est intéressant de voir qu’au début du processus d’émancipation politique, des luttes anticoloniales dans le continent africain, le Brésil officiel, le gouvernement brésilien s’est positionné de façon très prudente, c’est-à -dire que le Brésil n’a jamais soutenu les mouvements d’indépendance et de lutte anticoloniale de façon très forte. Et ceci était dû jusqu’aux années 1960 à ce traité d’amitié, de collaboration et de coopération bilatérale qui était très important entre le Brésil et le Portugal. Même si le Brésil était déjà indépendant, le lobby portugais se faisait très fort dans la capitale fédérale de Rio de Janeiro. Il y a bien évidemment le transfert de la capitale de Rio vers Brasilia et, à partir du moment où ce transfert se réalise, le lobby portugais dans la ville de Rio va perdre sa capacité d’influencer les grandes orientations de la politique étrangère brésilienne. C’est surtout à partir des années 1970 qu’on va vraiment connaitre une politique africaniste plus forte du Brésil, la période connue comme le miracle économique entre 1967-1973, quand le Brésil a connu des taux de croissance en moyenne de 10% par an, donc pendant cette période-là , le Brésil gouvernement, le Brésil Etat et les entreprises brésiliennes vont s’intéresser énormément à cette masse continentale qu’est le continent africain pour tisser des liens économiques. Le Brésil va être le premier pays à reconnaitre l’indépendance et la souveraineté de l’Angola, au moment même de l’indépendance de l’Angola. Le Brésil va être le premier pays de l’hémisphère occidental à reconnaitre l’indépendance du Mozambique, au moment même de l’indépendance des Mozambicains. Donc c’est un changement très important, le Brésil ne nie pas ses liens avec le Portugal, mais reconnait qu’il était beaucoup plus important en tant qu’Etat souverain, en tant que pays en développement de reconnaitre les indépendances et les droits à l’indépendance et à l’autonomie politique des pays africains, dont notamment les 5 pays africains de langue officielle portugaise. Donc on voit là deux aspects très importants des relations entre le Brésil et l’Afrique c’est que ce sont des relations qui à partir des années 1970 se développent hors de toute forme de cadre colonial. C’est très important, et le deuxième aspect c’est que ce sont des relations Sud-Sud, qui vont rivaliser, et bien sûr avec des courbes de plus d’importance et de moindre importance, avec les relations Nord-Sud ancienne métropole/ancienne colonie dans le continent africain. Cette nouvelle forme de coopération Sud-Sud va donner beaucoup de légitimité à l’action économique, commerciale, culturelle et politique du Brésil surtout auprès des 5 pays africains de langue officielle portugaise, les 5 PALOP, mais aussi auprès d’autres pays africains, en Afrique occidentale et en Afrique australe. Deuxième point que je voudrais développer de façon très rapide, c’est à partir du moment de la redémocratisation, c’est-à -dire à partir de la Constitution de 1988. Donc la coopération devient beaucoup plus importante avec les 5 PALOP : Angola, Mozambique, São Tomé et Principe, Cap Vert et Guinée-Bissau. En juillet 1996, il y aura le premier Sommet de la Communauté des pays de langue portugaise, donc le Brésil, plus les 5 PALOP, plus le Portugal. En 2002, le Timor oriental fait partie de cette Communauté des pays de langue portugaise et, coup de théâtre, en 2014 la Guinée Equatoriale, dans la foulée du boom des années Lula-Dilma demande à être membre, Guinée Equatoriale qui n’était pas une ancienne colonie portugaise mais qui était un pays hispanophone, demande à être membre de la Communauté des Pays de Langue Portugaise et va devenir membre officiellement à partir de 2014. Donc actuellement la CPLP est intégrée par 9 pays de 4 continents différents. Il est évident que les années Lula-Dilma, mais surtout les années Lula Da Silva, ont été très importantes en densité en matière de coopération, et bien évidemment à partir du moment où il y a plus de densité, il y a aussi plus de contradictions. Une quantité très impressionnante de projets de coopération en matière de santé, en matière de développement agricole, en matière d’éducation, notamment éducation supérieure, mais aussi des contradictions, des tensions public/privé, entre les intérêts des entreprises et les intérêts publics, entre les intérêts des entreprises et les dénonciations des ONG, les organisations non gouvernementales de la société civile brésilienne, de la société civile de l’autre côté de l’Atlantique par rapport aux effets pervers de l’implantation de quelques entreprises brésiliennes, dont notamment le projet développé au Mozambique dans le couloir de Nacala en termes d’exportation de minerai de fer par la compagnie Vale qui est une grande multinationale dont le siège est au Brésil. Donc même si l’Afrique, dans les années plus récentes, peut sortir de la liste des priorités de la politique étrangère brésilienne, elle sera toujours présente. Et pourquoi ? donc j’en viens à mon troisième et dernier point, c’est que il y a aussi un enjeu domestique, c’est-à -dire au niveau de la société brésilienne qui est aussi une société afro-brésilienne du point de vue démographique, en matière de religion, en matière de gastronomie, en matière de musique, la musique brésilienne qui est très mélangée avec les rythmes, les tambours africains et aussi dans la danse. Il suffit d’aller dans une fête de Carnaval pour se rendre compte que le Brésil ne danse pas comme on danse en Europe, le Brésil, les Brésiliens de toutes couleurs dansent beaucoup plus à l’africaine qu’à l’européenne. Reste à construire, il est évident, une identité plus forte au Brésil, une identité qui soit capable d’intégrer les noirs et les blancs et les métisses, ayant une reconnaissance de cette dimension démographique, de cette dimension religieuse, culturelle de la société brésilienne qui est à mon avis très importante pour l’identité nationale. Donc cette prise de conscience en matière d’identité nationale elle est très importante pour rompre au sein de la société brésilienne cette relation perverse entre la maison des maîtres et la maison des esclaves, mais aussi pour rompre avec une corrélation très importante entre inégalités socio-économiques et inégalités raciales au Brésil, où les plus pauvres sont encore les moins blancs, où les noirs constituent encore de nos jours la majorité des plus pauvres et aussi où les noirs, encore de nos jours font l’objet d’une beaucoup plus grande violence dans le milieu urbain quand on pense par exemple aux violences et aux assassinats qui ont lieu dans les favelas de Rio de Janeiro ou de São Paulo. Cette construction donc d’une identité elle est inachevée. Certes les années Lula-Dilma ont fait des progrès importants en matière d’accès à des droits, d’accès à l’éducation supérieure par exemple, mais il nous reste encore beaucoup à faire.