Dans cette présentation, il sera question de la réforme des organisations internationales dans la gouvernance mondiale. Créées au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les grandes organisations internationales à caractère universel ne reflètent plus les réalités d’aujourd’hui. La question de leur réforme se pose avec acuité depuis la fin de la guerre froide. Nous insisterons ici sur les difficultés de réforme du Conseil de sécurité des Nations unies d’une part, et d’autre part nous reviendrons sur les problèmes des institutions de Bretton Woods. La réforme du Conseil de sécurité, 72 ans après sa création, l’organisation des Nations unies, la belle dame, est déjà bien vieille et mérite une cure de rajeunissement. Son Conseil de sécurité est le témoignage d’une injustice institutionnelle, mais sa réforme pose plus de problème qu’elle n’en résout. Pourquoi le Conseil de sécurité est le témoignage d’une injustice institutionnelle ? A la fin de la deuxième guerre mondiale, face à la défaite de l’Allemagne, du Japon et de l’Italie, les puissances victorieuses se sont arrogé un certain nombre de privilèges. Par exemple, au moment de la création des Nations unies, ils se sont arrogé les 5 sièges permanents du Conseil de sécurité. Donc ce Conseil de sécurité est un organe restreint de l’ONU, qui est composé de 15 membres, parmi ces 15, les 5 sont fixés par la Charte des Nations unies, à savoir les États-Unis, la France, le Royaume Unis, la Russie et la Chine. Les 10 autres membres, qui sont des membres non permanents, sont choisis par l’Assemblée générale pour une durée de 2 ans. En ce qui concerne les votes au sein du Conseil de sécurité, pour tout ce qui concerne les questions de procédure, la majorité requise est de 9 sur 15 des membres du Conseil de sécurité. Mais pour toutes les autres questions, la majorité exige, par 9 sur 15, doit avoir obligatoirement les 5 membres permanents, c’est ce qu’on appelle le fameux droit de veto. C’est-à-dire qu’un de ces membres permanent peut, à tout moment, bloquer le fonctionnement du Conseil de sécurité. Ce droit de veto est une entorse au principe d’égalité des États qui est prévu par la Charte des Nations unies. Alors, comment réformer cette Charte ? La réforme de la Charte des Nations unies parait simple, mais il y a un obstacle qui demeure, c’est le chapitre 18 de la Charte qui prévoit les modalités d’amendement de cette Charte. La procédure se déroule en deux étapes. Il faut d’abord convoquer une Conférence générale de révision. Comment ? Il faut d’abord un vote à l’Assemblée générale à la majorité des 2/3, ensuite un vote au Conseil de sécurité de 9 des 15 quelconques du Conseil de sécurité. Une fois qu’on a ces deux votes, on peut convoquer une Conférence générale de révision, c’est-à-dire que les États vont envoyer des représentants, des délégations, on va inviter des professeurs d’université etc. pour réfléchir sur les modalités de la réforme. Une fois qu’ils sont tombés d’accord sur ça, pour que la réforme puisse avoir un effet, il faut, deuxième étape de la procédure, un vote à l’Assemblée générale des Nations unies à la majorité des 2/3 et il faut que le texte soit ratifié par 2/3 des États membres des Nations unies, y compris les 5 membres permanents. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que si un Etat membre permanent du Conseil de sécurité vote contre la réforme, il n’y aura pas de réforme. Et il y a des exemples historiques, par exemple aux États -Unis, en 1919, lorsque le Traité de Versailles a été signé, le président Wilson était très impliqué dans la rédaction de ce texte mais son pays n’a jamais adhéré à la Société des Nations. Pourquoi ? Parce que justement il y avait ce problème de ratification, parce que, aux États-Unis, la ratification des traités et accords internationaux est une compétence exclusive du Sénat américain, et le Sénat américain est un Sénat égalitaire, c’est-à-dire que chaque sénateur représente les États de la fédération, donc chaque Etat envoie deux sénateurs, il faut que 75 sénateurs sur les 100 votent le texte pour que cela puisse engager les États-Unis. En 1919, il y avait 74 sénateurs, il manquait une voix, ce qui fait que les États-Unis n’étaient pas membres de la Société des nations. Et le Sénat américain a une composante sociologique particulière, parce que généralement ce sont des gens qui viennent de l’Amérique profonde, de l’Amérique puritaine, donc ces personnes sont anti multilatéralisme, anti organisations internationales. Donc ce qui veut dire que la réforme même de la Charte des Nations unies sera très difficile. Il faut beaucoup de bonne volonté de la part de tous les États membres pour pouvoir réformer la Charte des Nations unies. Un autre problème, c’est ce qu’on appelle les Institutions de Bretton Woods. Bretton Woods est une ville qui se trouve au New Hampshire aux États-Unis. En 1944 ont été signés les accords qui portent son nom et qui ont créé les organisations économiques internationales, à savoir le FMI et la Banque mondiale. Ces organisations aussi sont le témoignage d’une injustice institutionnelle, mais également leur réforme pose des problèmes. Par exemple au FMI. Le FMI, le Fond monétaire international, c’est différent de l’Assemblée générale des Nations unies. A l’assemblée générale des Nations unies, c’est un Etat / une voix, mais au FMI c’est un Etat en fonction de son poids économique. Donc les voix des États sont pondérées en fonction de leur niveau de développement économique. Par exemple, un pays comme les États-Unis détiennent 17,6 % des voix, le Japon 6,5% des voix, l’Allemagne 6,2% des voix, la France 5,1% des voix, le Royaume uni 5,1 des voix, les 22 pays d’Afrique subsaharienne 3,22 % des voix. Une autre injustice de ces institutions de Bretton Woods, c’est au niveau de leur Conseil d’administration. Le Conseil d’administration est l’organe le plus important du FMI et de la Banque mondiale. Il est composé de 24 administrateurs, parmi ces 24 administrateurs, il y en a 8 qui représentent chacun un seul pays, il s’agit de l’Allemagne, de l’Arabie saoudite, de la Chine, des États-Unis, de la France, du Royaume uni, du Japon et de la Russie. Les 16 autres administrateurs représentent chacun un groupe de pays. Une autre injustice de ces institutions de Bretton Woods, c’est qu’au moment de leur création en 1944, il y a eu un gentleman agreement, c’est-à-dire un accord non écrit qui faisait que le directeur général du FMI sera toujours un Européen et le président de la Banque mondiale toujours un Américain. Alors, forcément il y a des problèmes, quels sont les problèmes ? Le premier de ces problèmes c’est le FMI. Le FMI est une institution publique qui fonctionne avec l’argent que versent les contribuables du monde entier, pourtant le FMI ne rend compte ni à ces citoyens qui le financent, ni aux personnes dont il change la vie dans les pays du Sud. Il adresse ses rapports aux ministres des finances et aux gouverneurs des banques centrales. Ces derniers se réunissent dans un système de votes fort complexe qui reflète essentiellement les réalités économiques à la fin de la deuxième guerre mondiale. Un autre problème de ces institutions, c’est leur direction, ils ont à leur tête des représentants des pays du Nord, alors que la majorité de leurs interventions se passent dans les pays du Sud. On n’a jamais jugé bon de demander aux dirigeants du FMI et de la Banque mondiale la moindre expérience des pays du Sud, ce qui fait qu’ils ne reflètent pas les réalités des pays dans lesquels ils interviennent. Et ça se voit sur le terrain. Par exemple, ils vont définir la pauvreté, pour dire que est pauvre celui qui a moins de 2 dollars par jour et extrêmement pauvre celui qui a moins de 1 dollar par jour. Parce que avec 2 dollars, vous ne pouvez pas vous payer un café aux alentours du siège de la banque à Washington, mais avec 2 dollars, à Saint Louis du Sénégal où j’exerce mon métier, vous pouvez vous payer un petit déjeuner, un déjeuner et un dîner, en plus d’avoir du thé et du café touba. Donc même si on les suit dans leur définition monétariste, ça pose des problèmes. Donc ils ont essayé de corriger cette définition pour dire 2 dollars en fonction de la parité du pouvoir d’achat. Et même si on les suit dans cette définition, c’est une définition très économiciste, et la monnaie n’est pas une valeur de référence universelle. Par exemple, si vous allez dans ce quartier à Saint Louis du Sénégal, qu’on appelle le quartier de Guet Ndar qui est un quartier de pêcheurs au bord de la mer de l’océan Atlantique, dans ce quartier, il n’y a pas de restaurant, parce que dans leur conception, est pauvre celui qui va au restaurant, donc est pauvre celui qui n’a pas de liens de sociabilité. Ce n’est pas quelqu’un qui a moins de 2 dollars, mais c’est quelqu’un qui n’est pas bien inséré socialement, parce que, si vous avez des liens de sociabilité, vous n’avez pas besoin de payer pour manger, vous entrez dans n’importe quelle maison à midi, on va vous ouvrir la porte et vous allez manger gratuitement. Cette conception-là, les gens du FMI et de la Banque mondiale ne sont pas capables de comprendre cela, et voilà pourquoi, depuis 50 ans le FMI et la Banque mondiale sont dans l’erreur, parce qu’ils ne comprennent pas les réalités des pays dans lesquels ils interviennent. La source du problème, au FMI et à la Banque mondiale, c’est qui parle au nom des pays, c’est souvent les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales. Les ministres des finances, ils représentent des communautés bien particulières de leur pays. Les ministres des finances représentent la communauté, le monde des affaires, les gouverneurs des banques centrales sont très liés à la communauté financière, évidemment ils vont voir le monde avec les yeux de la communauté financière. Donc ces personnes, elles servent l’Etat, et après avoir fini de servir l’Etat, elles retournent dans les firmes multinationales et ils vont voir le monde de la même manière que les dirigeants de ces firmes multinationales. Pour changer le statut du FMI et de la Banque mondiale il faut un vote à la majorité qualifiée de 85%. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que les États-Unis ont une minorité de blocage parce qu’ils détiennent 17,6 %, par conséquent on ne peut pas réformer la Charte de ces institutions sans l’aval des États-Unis d’Amérique, et personne n’acceptera de scier la branche sur laquelle il est assis. Alors quelle est la solution pour les pays d’Afrique, c’est de faire comme les pays d’Amérique latine, de créer leur propre banque régionale. C’est-à-dire une banque qui n’a rien à voir avec la banque actuelle, la Banque africaine de développement, qui n’a d’Africaine que le nom, la majorité du capital n’est pas détenue par les Africains, les décisions stratégiques ne sont pas prises par les Africains, mais une vraie banque africaine, financée par des capitaux africains et dont les décisions stratégiques seront prise par les Africains. En conclusion, les émeutes de la faim dans les pays du Sud, les manifestations violentes qui accompagnent les réunions de ces grandes organisations internationales doivent amener à mieux réfléchir sur leur rôle dans la gouvernance mondiale. Leurs hautes directions ne reflètent ni les forces économiques actuelles ni les dynamiques de transformation et de mutation des sociétés. Une réforme en profondeur de ces organisations s’impose dans la gouvernance de la stabilité, à la fois de notre politique économique internationale. Nous vous remercions de votre aimable attention.