Bonjour, Je suis Folashadé Soule-Kohndou. maître de conférences en sciences politiques et relations internationales à Sciences Po. La thématique de cette séance portera sur le phénomène de la régionalisation dans les relations internationales et dans l’espace mondial. La régionalisation représente une caractéristique majeure qui concerne la plupart des acteurs du système international. Selon l’Organisation mondiale du commerce, seul un Etat, la Mongolie, ne fait pas partie d’un accord régional. Nous verrons qu’à l’échelle globale, les processus de régionalisation suivent des trajectoires historiques différentes mais prennent également des formes multiples et variées d’une région à l’autre. Dans certaines régions, elle se caractérise également par un renforcement du statut de puissance régionale dominante comme nous le verrons dans certaines régions notamment d’Afrique et d’Amérique du Sud. Avant de nous pencher en détail sur le phénomène de la régionalisation, arrêtons-nous dans un premier temps pour définir ce qu’est une région. Les régions forment des ensembles d’Etats en situation de forte interdépendance et dont l’intégration au sein de la région est liée à la création d’organisation, d’associations ou encore d’institutions politiques régionales. Trois critères permettent ainsi de définir un sous ensemble régional : d'abord la proximité géographique, l’intensité et la régularité des interactions et enfin la perception commune et partagée de l’existence d’une région. Quant à l’intégration régionale, elle désigne les processus par lesquels les Etats vont au-delà de la suppression des obstacles aux interactions économiques, politiques, sociales et sociétales afin de renforcer ces interactions et de créer un espace régional où ils seront sujets à des règles communes. L’intégration peut donc s’effectuer à plusieurs échelles : au niveau économique par exemple, elle peut prendre la forme d’une zone de libre échange, d'une union douanière, un marché commun ou encore une union économique et monétaire. Mais l’Etat n’est pas l’acteur unique responsable des interactions régionales et dans certains cas, ces processus d’échanges peuvent également être menés soit par le marché, ou encore par des acteurs transnationaux, comme c’est le cas par exemple des flux illicites de drogue et de contrebande d’essence par exemple en Afrique de l’Ouest, qui se jouent des frontières légales ou qui profitent de la porosité des frontières afin de mettre en place un régionalisme officieux qui échappe au contrôle de l’Etat. La régionalisation implique donc, en théorie, la mise en place d’un niveau supplémentaire de gouvernance, au-delà de l’Etat-nation, sans pour autant aboutir à la création d’un « super-Etat ». Elle implique également une gestion des interdépendances entre les acteurs conscients des intérêts communs qu’ils ont à coopérer et la convergence vers une identité commune. Les Etats acceptent ainsi de transférer une partie de leur souveraineté à des entités supranationales comme c’est le cas du modèle d’intégration régionale au sein de l’Union européenne. Ces processus de régionalisation revêtent donc des formes et dynamismes multiples, dont trois principalement : dans un premier temps, une régionalisation qui est marquée par une intégration renforcée : c’est le modèle de l’intégration européenne ; dans un deuxième temps, une régionalisation de protection comme ce fut le cas en Asie et en Afrique après les années d’indépendance et dans un troisième temps, une troisième forme, une dynamique plus récente, le nouveau régionalisme sous forme d’accords de coopération interrégionaux et transrégionaux qui font fi de la proximité géographique pour aboutir à la formation d’entités de coopération transrégionales ce qui va donc au-delà de la définition théorique et classique de la régionalisation. Penchons-nous dans un premier temps sur le modèle européen d’intégration qui s’est progressivement renforcé après la deuxième guerre mondiale afin d’évoluer d’une intégration économique vers une intégration politique des membres sans pour autant aboutir à la mise en place d’un système fédéral. Alors que l’Europe de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1952 traitait exclusivement des affaires économiques spécifiques notamment un soutien aux industries européennes du charbon et de l'acier, l’Union européenne des 27 membres, se penche également, et de plus en plus non sans frictions, sur des questions plus politiques et sensibles comme la politique monétaires ou encore les politiques de sécurité internes et externes. Les réformes successives des traités européens ont alors comme objectif de maintenir ou d’engager des réformes afin d’améliorer l’efficacité de l’Union européenne, comme ce fut par exemple le cas du traité de Lisbonne en 2009. Bien que ce modèle européen d’intégration soit souvent tenu en modèle malgré ses imperfections, d’autres régions du monde qui ont des trajectoires historiques différentes, n’ont pas suivi le même processus - c’est notamment le cas en Afrique ou les premières entités régionales panafricaines comme l’Organisation de l’unité africaine, se sont dans un premier temps illustrées par un attachement fort des Etats, nouvellement indépendants, à leur souveraineté, limitant ainsi le champ d’action de l’organisation. Ce régionalisme de protection s’est également manifesté par la création d’entités économiques multiples censés protéger les économies africaines, encore fragiles, de l’ex puissance coloniale ou encore des chocs de la mondialisation. C’est le cas des 14 communautés économiques sous-régionales en Afrique de l’ouest, en Afrique centrale, australe mais également en Afrique du Nord. Les nouvelles organisations continentales remodelées ou créées au début des années 2000 comme l’Union Africaine ou encore le NEPAD ont toutefois permis la mise en place d’un processus de régionalisation plus ouvert, plus structuré, multidimensionnel, qui veut reproduire le modèle de l’Union européenne. Certes les Etats africains cèdent davantage de leur souveraineté mais l’effectivité de ces institutions pâtit cependant encore d’un défaut de financement des Etats-membres, rendant les organisations largement dépendantes de l’aide extérieure, et c’est notamment le cas dans le déploiement des missions de maintien de la paix en Afrique. Ce régionalisme de protection est également perceptible en Asie à la fin des années 60 avec la création de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 1967 qui est d’abord motivée par l’établissement d’une communauté sécuritaire afin de prévenir les conflits et éviter les interventions externes qui viendraient exacerber les tensions régionales. Ce modèle de régionalisation se veut souple, flexible, basé sur la consultation et la prise de décision consensuelle. Ce modèle évolue également à partir des années 90, et intègre d’autres composantes, notamment économiques en réponse à la crise financière de 1997 qui a fortement touché les économies asiatiques. Enfin, le troisième modèle de régionalisation concerne des processus qui prennent des formes plus ouvertes entre des entités qui sont géographiquement éloignées : c’est le cas des accords interrégionaux qui ont un focus économique plus large comme l’accord Union européenne-MERCOSUR, mais également d’autres formes de régionalisation qui prolifèrent depuis la fin des années 80 : c’est le cas des formes de transrégionalisme qui désigne un mode de consultation et de coopération peu institutionnalisée entre des Etats, mais également entre des acteurs non étatiques, issus de deux ou plusieurs régions éloignées, qui agissent en leur individualité. Les critères d’adhésion à ces entités, ne correspondent donc pas nécessairement aux critères géographiques des organisations régionales dont les Etats participants peuvent être membres. Nous allons donc au-delà de la définition classique et théorique de la régionalisation. Un exemple qui illustre ce mode de coopération transrégionale est le Forum IBAS qui regroupe depuis 2003 le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, qui sont respectivement issus de trois entités régionale différentes : l’Inde au sein de la SAARC, l’Afrique du Sud au sein du SADC, et le Brésil au sein du MERCOSUR. Le mode de fonctionnement d’un groupe transrégional peut également être informel alors que les modes d’action ou de coopération régionale classiques sont plutôt formel. Ce mode de fonctionnement peut donc être informel, voire semi-formel mais ne dispose en général pas d’un secrétariat permanent. Le champ de discussion est très large et peut porter sur des thèmes aussi bien économiques, politiques, sociaux et techniques ce qui est également illustré dans d’autres entités transrégionales comme la Francophonie, la Communauté des Pays de Langue Portugaise ou encore l’organisation de coopération de Shanghai. Ces formes de coopération transrégionale désignent donc un niveau supplémentaire mais également complémentaire de dialogue et de coopération dans l’espace mondial entre le niveau régional et le niveau international. Le phénomène de régionalisation entraine également un autre phénomène qui est celui de la mise en place ou du renforcement d’une puissance régionale dominante : ce cas de figure s’observe notamment en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Définissons ce qu’est une puissance régionale, c’est-à -dire un Etat faisant partie d’une région aux délimitations géographiques, économiques et politiques clairement définies et qui a une position de leadership au sein de la région. Reprenons le cas de l’IBAS et de ses 3 Etats-membres, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud qui affichent tous les trois des caractéristiques matérielles largement supérieures aux Etats-membres de leurs régions respectives. Cette asymétrie est notamment caractérisée par des écarts importants de poids démographique, et de produit intérieur brut, qui leur permettent d’assurer un leadership tout au moins économique, mais pas nécessairement politique. Le poids économique de l’Afrique du Sud au sein de la SADC en Afrique Australe équivaut à six fois l’ensemble des autres économies de la région. Le Brésil domine également économiquement au sein du MERCOSUR en Amérique du Sud et l’économie de l’Inde est largement supérieure aux économies de ses voisins sud-asiatiques au sein de la SAARC. La particularité des puissances régionales est également leur activisme dans des initiatives de constructions régionales qui dépassent leur sphère sous-régionale initiale. C’est le cas du Brésil au sein de l’UNASUR, de l’Inde dans l’ASEAN et de l’Afrique du Sud dans le NEPAD et au sein de l’Union Africaine. La puissance régionale a donc une influence non négligeable sur l’intégration de l’ensemble de la région et met en œuvre son influence à travers ces structures de gouvernance régionale. Le leadership régional peut être reconnu mais il peut également être contesté par d’autres Etats de la région qui prétendent aussi à ce statut de puissance régionale ou par des Etats plus petits c’est notamment le cas en Afrique avec le Kenya, le Nigeria, l’Egypte qui entendent également exercer ce statut de puissance régionale continentale. Pour conclure, les processus de régionalisation sont multiples, ils sont divers et ne constituent pas des processus linéaires à l’échelle internationale. La régionalisation ne vient pas nécessairement en contradiction au phénomène de mondialisation, mais permet à certaines régions de s’adapter aux défis qu’elle pose afin de mieux s’insérer dans ce processus de mondialisation mais également d’intégrer un certain nombre de spécificités. Je vous remercie.