Dans cette leçon, nous allons parler de l’identité, essayer de voir si cela peut être une grille de lecture pertinente pour les conflits du bassin du fleuve Mano, c’est-à -dire au Liberia, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire. L’identité renvoie, peut renvoyer à la race, à l’ethnie, au genre, à la différence entre les ainés et les cadets. Donc cela a été une grille de lecture utilisée dans la littérature pour décrire les conflits dans cette partie de l’Afrique. Nous allons essayer donc dans cette présentation de voir si l’identité peut être une grille de lecture pertinente de ces conflits. Commençons d’abord par le premier de ces conflits, c’est-à -dire le Liberia. Le Liberia est l’un des seuls pays d’Afrique avec l’Ethiopie qui n’ont pas connu la colonisation. Le Libéria a été créé en 1847 par des esclaves qui se sont affranchis des Etats-Unis d’Amérique. Alors les Américains les ont aidés à venir s’installer sur le sol libérien, mais sur place ils avaient trouvé déjà une communauté qui était là , qu’on peut appeler les communautés autochtones. Il y avait donc cette tension entre les communautés autochtones et les allogènes qui sont venus, mais, avec l’appui des Américains, ils ont réussi à assoir leur suprématie, sur le plan politique, économique, mais aussi sur le plan intellectuel. Quelques exemples, la présidente actuelle du Liberia, Madame Ellen Johnson Sirleaf, ses arrières grands-parents sont d‘anciens esclaves affranchis des Etats-Unis, il en est de même pour Charles Taylor qui était un des rebelles du conflit libérien. Donc cette suprématie des allogènes s’est manifestée depuis la création du pays jusqu’aux années 1980 lorsque le sergent-chef Samuel Doe a pris le pouvoir pour mettre fin à cette suprématie au plan politique, mais cela n’a pas entrainé la disparition de la domination de ces allogènes sur le plan économique et intellectuel. Donc, à la suite de cela, les difficultés économiques aidant, Samuel Doe sera confronté à une rébellion de ses anciens collaborateurs comme Charles Taylor par exemple qui était son ministre de l’équipement et qui lui-même se trouve être par ses origines descendant de ces allogènes qui sont venus des Etats-Unis. Charles Taylor lui-même a fait ses humanités aux Etats-Unis parce qu’il a étudié à l’Université de Georgetown. Donc il s’est allié avec Prince Johnson et ils ont soulevé la population avec eux, ce qui a créé la guerre du Liberia à partir de décembre 1989. Maintenant, est-ce que l’identité a été le facteur déterminant ? En réalité, c’était plus l’exploitation des ressources naturelles du Liberia, notamment le bois qui était dominée par cette classe sociale allogène et qui empêchait les autochtones d’avoir accès à ces ressources, qui les a plus amenés à se soulever pour réclamer leur part de ces ressources naturelles que vraiment le repli derrière des identités, notamment autochtones et allogènes. Pour ce qui est de la Sierra Leone, le deuxième conflit. La Sierra Leone aussi, à l’image du Liberia, est une nation qui a été créée par des esclaves qui étaient affranchis de l’Angleterre britannique et des Antilles. Ils sont venus sur place, ils se sont installés. En Sierra Leone, c’est le modèle britannique de colonisation qui s’appliquait, c’est-à -dire l’Indirect Rule, quand ils venaient sur place, ils laissaient les structures sociales en place, les chefferies traditionnelles, et ils travaillaient directement avec les chefs traditionnels, donc ils ne bouleversaient pas les structures sociales. Alors ces structures sociales se sont maintenues, même après la colonisation, et donc il y a des hiérarchies, des aristocraties qui sont créées et il y a une fracture entre les ainés et les cadets, donc les ainés qui détenaient les ressources etc. et les cadets, les jeunes, notamment ruraux, qui n’avaient pas accès à ces ressources. Si nous prenons par exemple le cas de ces jeunes rebelles libériens qui combattaient pour le RUF (Revolutionary United Front) ils étaient plus des jeunes qui sont venus du monde rural, en plus le conflit en Sierra Leone était présenté comme un conflit pour les diamants. On qualifiait le diamant sierra léonais à l’époque de diamant du sang. Pour les jeunes qui combattaient, il n’y avait pas de revendication derrière leur combat. Par exemple un économiste de la banque mondiale avait écrit un livre qui s’appelle « Greediness not grievance », c’est-à -dire la rapacité au lieu de la revendication. Donc pour les rebelles qui combattaient, il n’y avait pas de revendications derrière, c’était juste de la rapacité. Le diamant sierra léonais est venu se greffer à un problème plus profond, donc l’explication utilitariste présente des limites et nous pensons ici que c’est peut-être une explication plus socio-anthropologique qui pourrait nous aider et nous pourrons emprunter à Emile Durkheim un concept qu’il appelle l’exaltation générale. Dans une situation d’exaltation générale on peut avoir deux possibilités, soit cela conduit à un héroïsme surhumain ou bien à une barbarie sanglante. Si dans le premier cas l’héroïsme surhumain conduit à la sanctification des symboles dans le second cas la barbarie sanglante conduit à la profanation des symboles de l’ennemi. Donc, ce qui s’est passé en Sierra Leone, ces jeunes qui coupaient leurs victimes en manches longues et en manches courte, ces jeunes rebelles qui éventraient les femmes enceintes voulaient plus briser les solidarités mécaniques de leurs victimes et laisser leurs marques. Donc dans le cas de la Sierra Leone, les jeunes rebelles sierra léonais voulaient démontrer, avec cette forme de violence, l’illusion de la solidarité sociale qui existait entre les ainés et les cadets et en tuant les individus de cette façon, ils voulaient peut être laisser leur marque. Par conséquent la lecture utilitariste qui est utilisée pour expliquer que ce sont les diamants qui expliquent cette violence de ces jeunes mérite d’être complétée par une autre lecture plus socio-anthropologique. Maintenant pour ce qui est du cas de la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire est un pays qui était relativement stable, de son indépendance jusqu’au décès du président Felix Houphouët Boigny en 1993. Sa succession va poser des problèmes, mais, au fond, derrière la succession, il y a des problèmes plus profonds et ce sont des intellectuels du PDCI-RDA, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny, qui était à l’époque dirigé par Henri Konan Bedié, ce sont des intellectuels de ce parti qui ont inventé le concept d’ivoirité pour distinguer entre les Ivoiriens de souche et les Ivoiriens de circonstance. Alors les Ivoiriens de circonstance étaient considérés comme des envahisseurs. Cette confusion entre l’origine et la nationalité témoigne d’une méconnaissance des réalités profondes, parce que ce sont des populations qui vivaient en Côte d’Ivoire depuis des générations, mais avec le concept d’ivoirité, on a enlevé des droits de propriété foncière à des Ivoiriens et également des droits de vote. Mais, au fond, le recours à ce concept identitaire d’ivoirité cache un problème plus profond. Lorsque la Côte d’Ivoire était prospère, il n’y avait pas de problèmes, il n’y avait pas de distinction, la Côte d’Ivoire avait accueilli tous les enfants d’Afrique. Mais lorsque les difficultés économiques ont commencé avec les programmes d’ajustement structurel qui ont réduit la capacité de redistribution de l’Etat, les problèmes ont commencé. Un exemple : les politiques d’ajustement structurel avec le FMI et la Banque mondiale ont exigé du gouvernement ivoirien de dissoudre la Caistab, c’est-à -dire la Caisse de stabilisation, qui permettait à l’Etat ivoirien de générer des ressources pour redistribuer dans la société. Donc c’est plus la rareté économique, la dispute pour accéder aux ressources que les questions d’ivoirité qui sont au fond à l’origine du problème ivoirien. Donc, au fond, les conflits du bassin de fleuve Mano, c’est-à -dire au Liberia, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire, qui ont été lus sur la base de l’identité méritent d’être complétés par une autre lecture qui prendrait en compte aussi la dimension économique qui pousse les conjoncturés à se rebeller contre un Etat qui ne leur était plus utile. Nous vous remercions de votre aimable attention.