Dans cette présentation aujourd’hui, nous allons parler de la fongibilité de la puissance, et plus particulièrement de la fongibilité de la puissance chinoise en Afrique. En 2013 s’ouvrait le Sommet France-Afrique, en 2014 le Sommet Etats-Unis Afrique et en 2015 le 2e Sommet Chine-Afrique. En trois ans d’affilé, l’Afrique est devenu le nouveau théâtre d’affrontement des grandes puissances. Pourquoi cet intérêt subit pour le continent africain ? Parce que 15% des réserves mondiales de pétrole se trouvent en Afrique, 60% des terres irrigables, 40% de l’or et 40% des réserves mondiales en eau. Ce sont ces éléments déterminants pour l’avenir de la planète qui expliquent cet intérêt pour le continent africain. La fongibilité de la puissance signifie la transférabilité de la puissance d’un domaine à un autre. Par exemple une puissance économique qui se convertit en puissance militaire, puis en puissance géopolitique etc. Pour parler de la fongibilité de la puissance chinoise en Afrique, prenons une démarche en trois étapes. Dans un premier temps nous essaierons de montrer l’émergence de la Chine comme puissance. Ensuite, nous essaierons de voir les tenants et les aboutissants de la présence chinoise en Afrique. Et enfin, nous terminerons par observer et scruter les défis que pose la présence chinoise en Afrique. L’émergence de la Chine comme puissance, Alain Peyrefitte était visionnaire lorsque en 1997 il écrivait son ouvrage <i>Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera.</i> En effet, la croissance chinoise ne cesse d’impressionner le monde entier. En 2015 par exemple, lors du 2e Sommet Chine-Afrique, à Johannesburg en décembre 2015, la Chine a octroyé 60 milliards de dollars américains à l’Afrique pour 10 projets de développement, dans le domaine de l’agriculture, dans le domaine de la sécurité, du développement etc. Donc la Chine est devenue une nouvelle puissance, même si l’Afrique, n‘est pas le premier partenaire commercial de la Chine, on note depuis une décennie un développement des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique. Les exportations chinoises vers l’Afrique ne cessent d’augmenter, mais aussi les importations chinoises en provenance de l’Afrique ne cessent d’augmenter. Deux explications. La première explication c’est que, du côté de la Chine, l’Afrique est devenue un nouvel enjeu stratégique parce que la Chine a un immense besoin de ressources minières et pétrolières. Donc, alors que le pétrole du Moyen Orient est monopolisé par les Américains, les Chinois ont besoin de diversifier leurs sources d’approvisionnement. Donc le choix de l’Afrique pour la Chine est d’abord un choix stratégique. Du côté africain, le choix de la Chine permet de mettre en concurrence les anciens partenaires parce que l’Afrique était jusque-là dominée par les anciennes puissances coloniales, et dans la logique coloniale impérialiste, l’élève qui se comporte bien est récompensé, mais l’élève qui ose défier son maître se voit dérober le pouvoir. Par exemple lorsque Pascal Lissouba au Congo Brazzaville a essayé de diversifier les partenaires de son pays, notamment pour l’exploitation des ressources pétrolières, il a perdu le pouvoir. Alors, quels sont les défis que pose la présence chinoise en Afrique ? Il y a deux courants, deux tendances, il y a ceux qu’on appelle les optimistes et ceux qu’on appelle les pessimistes. Les optimistes, par exemple, mettent l’accent sur le modèle de développement chinois qui a fait ses preuves, ils soutiennent également que la Chine n’a pas de passé impérialiste, colonialiste donc il ne saurait y avoir développés de comportements impérialistes. Un autre argument qu’ils avancent c’est que la Chine n’a jamais soutenu les programmes d’ajustement structurel qui accablent l’Afrique depuis une trentaine d’années et son plan d’investissements semble s’inscrire sur le long terme. Par contre, pour les pessimistes, ils demandent d’être plus critique et d’avoir une vision à long terme. C’est vrai que dans l’immédiat ça n’est pas visible, mais la stratégie chinoise s’inscrit à long terme. Quelqu’un comme par exemple Lamido, dont le père était en ancien ambassadeur à Pékin, lui-même était le gouverneur de la banque centrale du Nigeria, il avait publié une tribune dans le Financial Times qui était datée du 11 mars 2007 où il appelait les Africains à se réveiller de leur romance avec la Chine, car le fait de s’accaparer des ressources naturelles africaines et de leur vendre des produits manufacturés était aussi une forme d’impérialisme. Alors, quels sont les défis que nous pose la présence chinoise en Afrique ? La présence chinoise en Afrique pose plusieurs défis mais nous pouvons en retenir au moins 4. Le premier de ces défis c’est la qualité du travail des Chinois. Les Chinois investissent beaucoup dans le domaine des infrastructures, avec des infrastructures gigantesques qui laissent des images impressionnantes. Nous pensons par exemple au siège de l’Union Africaine qui a été offert par la Chine à l’Afrique et qui a coûté 200 millions de dollars américains. Nous pensons aussi au Grand Théâtre au Sénégal, qui est devenu le nouveau point de rencontre de la nouvelle bourgeoisie dakaroise qui se retrouve là -bas chaque samedi pour regarder en direct à la télévision. Donc ce sont des édifices gigantesques. Mais le travail chinois en Afrique c’est aussi dans le domaine des routes et là il y a un problème. S’il y a la qualité et le professionnalisme par exemple en République Démocratique du Congo il y a une qualité des ouvrages dans les grands centres urbains mais dans les milieux ruraux on s’est rendu compte de négligences coupables et ces routes n’ont pas résisté aux pluies diluviennes. Le deuxième défi de la présence chinoise en Afrique, c’est ce qu’on appelle la répartition des bénéfices, c’est-à -dire les recettes que peuvent tirer les pays d’accueil de l’exploitation des ressources. Par exemple, en République Démocratique du Congo, l’Etat congolais, sur 21 mines disponibles, 11 sont exploitées par les Chinois, l’Etat congolais ne tire que 17% des recettes pour ces exploitations minières. Au Zimbabwe, c’est 24% des recettes, c’était tellement faible que le gouvernement zimbabwéen était obligé de renationaliser les mines diamantifères parce que l’Etat ne tirait pas suffisamment de ressources de ces exploitations qui étaient gérées par des compagnies étrangères et la majorité étaient des compagnies chinoises. Le 3e défi que pose la présence chinoise en Afrique, c’est le défi environnemental. La Chine est l’un des plus grands pollueurs au monde, y compris donc en Afrique. Donc la question de l’environnement ne peut être escamotée lorsqu’on parle de grands projets d’infrastructures. Et à ce niveau, par exemple un toxicologue et chimiste congolais, le professeur Ndisio Ngola demandait aux africains de faire attention au modus operandi des entreprises chinoises. Ces enquêtes toxicologiques et épidémiologiques ont montré que les entreprises étrangères ne respectaient pas les normes environnementales. Sa boîte à frigo lui a été dérobée à l’aéroport de Kinshasa. 4e enfin et dernier défi de la présence chinoise en Afrique c’est ce qu’on appelle la concurrence avec les petites et moyennes entreprise africaines. Il y a aujourd’hui 1 million de travailleurs chinois en Afrique. Alors la plupart d’entre eux c’est vrai travaille dans les entreprises chinoises, mais une bonne partie s’active dans le petit commerce, au point qu’un journaliste de Brazzaville se posait la question : est-ce que la Chine n’exporte pas sa main d’oeuvre excédentaire en Afrique ? C’est l’un des reproches les plus entendus dans la coopération Chine-Afrique, la Chine n’utilise pas la main-d’œuvre locale mais apporte sa main-d’œuvre pour la construction des infrastructures. Il y a quelques années il y a eu un soulèvement au Cameroun pour dénoncer la concurrence déloyale des petits commerçants chinois face au commerce local qui menaçait d’être étouffé parce que les produits chinois sont bon marché et dans chaque grande ville africaine aujourd’hui il y a une China Town. En conclusion donc, nous dirons que la croissance de la Chine ne cesse d’impressionner mais aussi d’inquiéter par exemple les pays occidentaux, mais ça peut être une opportunité pour l’Afrique de vendre au plus offrant ses ressources naturelles, mais la coopération avec la Chine ne doit pas simplement se limiter aux ressources générées par l’exploitation des ressources minières. Si l’Afrique est aujourd’hui la dernière frontière et le nouveau centre du monde, il appartient aux Africains de déterminer leur place et leur rôle dans ce nouveau concert des nations. Nous vous remercions de votre aimable attention.